LE LIVRE DE MA MERE ( Albert Cohen )
Il faut que je partage, par quelques lignes recopiées, toute
la beauté de ce livre bouleversant d'Albert Cohen sur sa mère.
Chapitre XVI
Tout éveillé, je rêve et je me raconte comment ce serait si elle
était en vie. Je vivrais avec elle, petitement, dans la solitude.
Une petite maison, au bord de la mer, loin des hommes .
Nous deux, elle et moi, une petite maison un peu tordue,
et personne d'autre . Une petite vie tranquille et sans talent.
Je me ferais une âme nouvelle, une âme de petite vieille comme
elle pour qu'elle ne soit pas génée par moi et qu'elle soit tout
à fait heureuse. Pour lui faire plaisir, je ne fumerais plus.On
vaquerait gentiment, elle et moi, aux besognes du ménage.
On ferait la cuisine avec de petites réflexions genre"je crois
vraiment qu'un peu,, mais trés peu, de chicorée améliore le
café" ou " il vaut mieux saler pas assez que trop, on est toujours
à temps"Avec la cueiller de bois, je ferais des tapotements,
comme elle. .......Le soir, après le dîner et lorsque tout serait
bien en ordre, on causerait gentiment au coin du feu .... ensemble
éternellement. Et c'est ainsi que j'imagine le paradis.
J'entends ma mère qui me dit avec son sourire sage :"Cette vie
ne te conviendrait pas, tu ne pourrais pas, tu resterais le même."
Et elle ajoute ce qu'elle m'a dit tant de fois en sa vie :"Mon seigneur
un peu fou, mon prince des temps anciens."Elle dit encore
en se rapprochant: " Et puis, je n'aimerais pas que tu changes,
ne sais-tu pas que les mères aiment que le fils soit supérieur,
et même un peu ingrat, c'est signe de bonne santé."
Quand on a lu les 15 chapitres précédents, qu'on a compris qui était
cette mère (et que l'on sait qui est ce fils !) on ne peut qu'aller jusqu'au
bout du livre avec beaucoup d'émotions